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Colloque international " Le prince, le tyran, le despote : figures du souverain en Europe de la Renaissance aux Lumières 1500-1800 "

Publié le 27 novembre 2018 Mis à jour le 14 septembre 2023

Colloque international " Le prince, le tyran, le despote : figures du souverain en Europe de la Renaissance aux Lumières 1500-1800 " organisé par le CREA EA370 de l'Université Paris Nanterre en partenariat avec PRISMES EA 4398 Paris Sorbonne Nouvelle, le CAS Université Toulouse Jean Jaurès avec le soutien de CHISCO-ED 395 et de la SAGEF

Date(s)

du 22 janvier 2016 au 23 janvier 2016

Lieu(x)

Bâtiment Pierre Grappin (B)

Vendredi 22 janvier  :  Salle René Rémond (B015), Espace Recherche, bâtiment  B
Samedi 23 janvier : Salle des conférences, Espace Recherche, bâtiment B
 
Plan d'accès

Descriptif :

Chaque époque a donné au tyran ou au despote des traits spécifiques et a défini la nature de son abus, en fonction de conjonctures historiques singulières. Les modernes investissent à nouveaux frais la figure du mauvais prince tandis que les critères éthico-religieux par lesquels on jugeait auparavant un gouvernant – est-il pieux, sage ou juste ? – paraissent céder le pas à des considérations « prudentielles » sur les conditions de la paix religieuse ou de la prospérité des Etats, conférant à la notion de bien commun une dimension plus immédiate que celle qui prévalait dans la pensée scolastique. La tyrannie qui s’exerce sur les individus est le masque de la persécution religieuse ou de la domination aristocratique.

« J’ai dit que la nature du gouvernement républicain est que le peuple en corps, ou de certaines familles, y aient la souveraine puissance : celle du gouvernement monarchique, que le prince y ait la souveraine puissance, mais qu’il l’exerce selon les lois établies : celle du gouvernement despotique, qu’un seul y gouverne selon ses volontés et ses caprices. » (Montesquieu, De l’Esprit des Lois, 1758, livre III, chap. II)

Au XVIe siècle, les rois de France et d’Angleterre affirment leur autorité face aux prétentions impériales du Pape et de Charles Quint. Puis, c’est au tour des sept provinces du nord de réclamer leur indépendance à Philippe II : la République des Provinces Unies est proclamée en 1581. Dans ce contexte d’unification des Etats territoriaux, les théoriciens légitiment le pouvoir absolu du prince, et formulent la notion de souveraineté. Au lendemain de la Saint Barthélémy, Jean Bodin la définit comme « la puissance absolue et perpétuelle de la République » : ses thèses sont traduites en latin et lues sur tout le continent. La souveraineté désigne donc le moyen par lequel la République peut se défendre des menaces externes, mais aussi des conflits internes : révoltes de la paysannerie, de l’aristocratie, guerres de succession et de religion.

Un tel effort de théorisation procède de la volonté d’adosser la légitimité du souverain au droit, et dans sa version absolutiste, de faire dériver la loi civile du souverain lui-même. Aussi, l’émergence de la doctrine de la souveraineté passe-t-elle par une révision du cadre juridique hérité du Moyen Âge, qui avait redécouvert le corpus justinien dès la fin du XIe siècle en Italie. Revisitant tout un courant interprétatif, incarné par l’historien allemand Ernst Kantorowicz, selon lequel l’État moderne était l’émanation du droit impérial romain, des chercheurs et des chercheuses ont mis en exergue le vaste travail de critique et d’adaptation du droit romain au cours du XVIe siècle. Telle est la contribution des jurisconsultes français de l’Ecole de Bourges étudiés par Allen, Salmon, Giesey, et Kelley ; en Angleterre, on publie vers le milieu du siècle les écrits de Fortescue (1385-1479) qui avait compilé le droit coutumier, travail de compilation repris au XVIIe siècle par les common lawyers au premier rang desquels Sir Edward Coke. Cette souveraineté fondée sur un droit vernaculaire fut brandie en divers lieux comme arme idéologique contre toute menace de domination : dans les Flandres sous domination espagnole, dans la France des Valois, dans l’Ecosse et l’Angleterre des Stuarts. Ainsi, du point de vue historiographique, on peut voir un tournant à la période moderne dans la constitution de l’appareillage juridique des États indépendants ou au contraire, voir une continuité avec la fin du Moyen Âge et considérer l’effervescence théorique des XVIe et XVIIe siècles comme l’héritage des luttes des XIIIe et XIVe siècles pour s’affranchir de l’autorité papale (querelle entre Boniface VIII et Philippe IV le Bel, montée en puissance du gallicanisme et de l’anglicanisme).

Pourtant, il apparaît bientôt que derrière le souverain se cache le tyran : « Other do call that kinde of administration which the Greekes do call, pambasileian, not tyranny, but the absolute power of a King, which they would pretende that everie King hath, if he would use it. The other they call basileian nomikhn or the Royall power regulate by laws », déclare Sir Thomas Smith, conseiller de la reine Elizabeth Iere, dans le De Republica Anglorum (1583). L’un des problèmes qui se pose dans le cadre de la construction des monarchies territoriales centralisées est celui du contrôle possible du pouvoir dès lors que celui-ci présente un risque d’absolutisation, lequel se traduit d’abord par la question de la conversion forcée à la religion du monarque. Comment la volonté du souverain se distingue-t-elle de la volonté du despote ? Si le sujet doit se soumettre à l’autorité civile, comment faire en sorte qu’il ne retombe sous la domination du seigneur médiéval ou qu’il ne devienne l’esclave d’une volonté déréglée ? Comment établir de façon certaine la frontière entre ce qui relève de la puissance légitime et droite, pour reprendre les termes de Bodin, et ce qui relève d’une emprise tyrannique ? Comment la servitude politique contamine-t-elle la société toute entière ? La transmission, au XVIe siècle, de la Couronne royale aux princesses anglaises et écossaises fait naître de nouvelles questions : comment l’autorité s’incarne-t-elle dans un corps de femme ? Comment une femme peut-elle exercer le pouvoir ? Plus tard, enfin, comment se dégage la figure du despote éclairé ?

Les penseurs monarchomaques ont porté au plus haut point l’idée d’imposer des limites normatives au détenteur du pouvoir en prônant la résistance active, dès lors que le monarque violerait la liberté de conscience, les lois fondamentales du royaume ou le bien commun. Mais les théoriciens de la souveraineté étatique reprennent à leur propre compte cette notion de limites, soit qu’ils considèrent la souveraineté comme une construction historique (Bodin), soit qu’ils se placent dans une perspective contractualiste (Hobbes, Locke, Rousseau), soit au contraire, qu’ils s’inscrivent dans une perspective institutionnaliste (Harrington, Spinoza, Montesquieu).

L’essor de la doctrine de la souveraineté en Europe à l’orée de la période moderne semble ainsi faire naître une tension entre la nécessité de borner la puissance souveraine et la difficulté d’en passer par la loi civile pour le faire, tension qui s’exprime dans cette formule : « Sans doute la souveraineté est-elle absolue, mais elle a des limites » (Loyseau, 1606). D’où la tentative de trouver ailleurs que dans cette loi la limite même du pouvoir souverain, que ce soit dans les traités sur l’art de gouverner (Machiavel, Botero, Ammirato... ) ou dans les théories du droit naturel et du droit de résistance, selon lesquelles les actions des gouvernants seront jugées à l’aune d’une loi universelle de raison.

A quoi ressemble le tyran moderne ? Les termes de tyran (turannos) et de despote (despotes) nous ont été légués par la pensée gréco-romaine. Le premier serait apparu au VIIe siècle, pour désigner d’abord la puissance et la richesse de la dynastie des Mermnades, puis pour distinguer le bon roi (basileus) du mauvais roi, dont le règne se caractérise par l’excès (hubris). Le second désignait une divinité ou un maître exerçant sa domination sur un groupe d’hommes ; à partir du XIe siècle après J.C., il est le terme par lequel on désigne l’empereur byzantin. Au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin distingue deux types de tyran : le tyran d’exercice et le tyran d’usurpation. Tandis que les sujets ne peuvent s’en prendre à la personne du premier, qui est légitime, ils sont en droit de se soulever contre le second. Les deux vocables ont évolué en parallèle, souvent de manière interchangeable et en sont venus à revêtir, à la Renaissance, puis à la période moderne, la signification péjorative que lui donne Montesquieu. Pour lui, le bon gouvernement se distingue du gouvernement despotique, non par l’identité de celui qui détient le pouvoir, non par la nature du régime considéré – démocratie, aristocratie, monarchie, mais par la manière dont le souverain l’exerce : dans un cas, l’exercice du pouvoir sera tempéré par les lois de l’Etat ou de la Principauté, dans l’autre, sa volonté propre, fût-elle altérée et erratique, ne connaîtra pas de bornes et tiendra lieu de loi.

Chaque époque a donné au tyran ou au despote des traits spécifiques et a défini la nature de son abus, en fonction de conjonctures historiques singulières. Les modernes investissent à nouveaux frais la figure du mauvais prince tandis que les critères éthico-religieux par lesquels on jugeait auparavant un gouvernant – est-il pieux, sage ou juste ? – paraissent céder le pas à des considérations « prudentielles » sur les conditions de la paix religieuse ou de la prospérité des Etats, conférant à la notion de bien commun une dimension plus immédiate que celle qui prévalait dans la pensée scolastique. La tyrannie qui s’exerce sur les individus est le masque de la persécution religieuse ou de la domination aristocratique. Tandis que l’analogie avec le pouvoir patriarcal sert dans certains cas à légitimer le pouvoir souverain (Filmer), la volonté de le limiter va de pair avec la critique des rapports de domination entre les sexes (Marinella, Tarabotti).

Héros tragique par excellence, le tyran fait l’objet de nombreux traitements littéraires et picturaux (allégories, images satiriques…) qui font contrepoint aux portraits officiels de souverains en majesté. Omniprésent chez Shakespeare, c’est un prince ou un usurpateur pris au piège d’un jeu de miroirs : « As Caesar loved me, I weep for him ; as he was fortunate, I rejoice at it ; as he was valiant, I honour him : but as he was ambitious, I slew him », déclare Brutus. Enfin, il est au centre des traités monarchomaques, catholiques (Mariana, Boucher) ou protestants (Buchanan, Languet, Bèze), dont Milton ou Sidney sont les héritiers : il y revêt l’apparence d’un vieillard sénile, d’une femme esclave de ses passions, ou d’un fou qu’aveugle sa volonté de dominer. Dans leurs recommandations les plus radicales, ceux-ci réclament le tyrannicide.

Il s’agira donc d’interroger une multiplicité de sources et de témoignages d’hommes et de femmes et de montrer comment ils rendent compte des mutations de la figure du souverain à l’âge classique : celles-ci seront saisies dans leurs lignes de force, comme dans leurs tensions irrésolues, entre l’institution d’une autorité suprême de légitimité populaire capable de prendre des décisions qui engagent la société toute entière, et l’élaboration constitutionnelle de contrepoids pour éviter que le souverain ne dégénère en tyran. Le domaine d’études sera européen, voire « cosmopolitique », car si les penseurs occidentaux érigent le despote oriental en contre-modèle, il serait important de confronter cette vision avec des penseurs d’expression perse, chinoise ou arabe.
 

Comité d'organisation :

  • Myriam-Isabelle Ducrocq (Université Paris Nanterre - CREA)
  • Laïla Ghermani (Université Paris Nanterre - CREA)
  • Anne-Marie Miller-Blaise (Université La Sorbonne Nouvelle Paris 3 – PRISMES)
  • Alexandra Sippel (Université Toulouse Jean Jaurès – CAS)

     
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