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La construction du « common ground »
Projet transversal du CREA
« La construction du "common ground" »
Responsables : Martine Sékali, Caroline Rolland-Diamond
Le terme anglais common ground renvoie à un « terrain » commun constitué de savoir partagé, de références mutuellement acceptées, au niveau linguistique, cognitif, social, culturel. Le common ground est donc une zone d’entente et d’attente, de convergence tacite, socle indispensable d’un dynamisme de coopération. En tant que zone d’entente, il est constitutif d’une identité collective, qui peut être à l’origine d’une communauté spécifique au sein d’une communauté plus large. En tant que zone d’attente, le common ground fournit une grille d’interprétation, comme le signale Deborah Tannen : “...based on one’s experience of the world in a given culture (…), one organizes knowledge about the world and uses this knowledge to predict interpretations and relationships regarding new information, events, and experiences.” (Tannen 1979: 137)
Le projet vise à rechercher les processus de la construction de ce common ground au niveau de la/des communauté(s) anglophone(s).
Sous l’angle linguistique
Constat issu d’une analyse du processus développemental en acquisition de la langue maternelle (Sekali 2012, 2018) sur un corpus longitudinal : la complexification progressive des énoncés chez l’enfant suit un chemin développemental « en accordéon » (concertina effect) : de courts énoncés simples à une période d’énoncés hyper complexes (subordonnées en parce que/sinon/pour/si, coordination etc. vers 2ans et demi-3 ans, puis vers 4/5 ans les énoncés semblent se rétrécir (pourcentage moindre d’énoncés à multiples subordonnées).
Ce phénomène d’accordéon linguistique dans le développement est à lier à un processus cognitif et socio-culturel d’intégration/implicitation de règles et routines familiales (j’enlève mes chaussures parce que je vais monter sur mon lit, je tiens la rampe en descendant l’escalier parce que comme ça je ne vais pas tomber) mais aussi d’intégration de savoir partagé sur le monde (les feuilles elles tombent parce que c’est l’automne) etc.
Il y a un besoin d’explicitation linguistique des phénomènes pour une future implicitation dans un common ground qui n’a plus besoin d’être dit. Le processus analytique incarné dans les énoncés hypercomplexes (linguistic embodiment) construit la possibilité d’une synthèse/implicitation à la fois linguistique et cognitive. Ainsi la phase d’hypercomplexité formelle, linguistique, est une incarnation dans la langue de l’analyse cognitive des phénomènes du monde par l’enfant (perception et traitement de l’information), qui autorise leur appropriation /intégration en tant que savoir partagé, social et culturel. Un certain nombre d’énoncés syntaxiquement plus simples qui apparaissent après 4 ans sont en réalité cognitivement plus complexes parce qu’ils contiennent des zones de sens implicites, (que l’on ne trouve pas avant dans les corpus). Ces zones de sens implicites acquises permettent aussi une meilleure coopération dans les échanges oraux, et peut-être aussi une meilleure compréhension des implicites des autres locuteurs.
Ce phénomène de concertina effect et d’implicitation progressive incarnée dans la langue, analysé sur un grand corpus longitudinal français, doit être testé par l’analyse d’autres corpus longitudinaux anglophones, déjà collectés, mais qui doivent être transcrits sous CLAN et analysés. D’autres marques d’implicitation du common ground qui participent à ce chemin développemental seront recherchées avec une approche multi-dimensionnelle de la langue orale : gestualité, prosodie, positionnements intersubjectifs et pragmatiques, avec ce questionnement filé : comment s’exprime l’implicite, le savoir partagé, quand apparaît-il dans les corpus, comment le reconnait-on, comment peut-on décrire, et formaliser son processus d’acquisition ?
Cette analyse de la construction du common ground dans la langue a bien entendu des implications dans l’apprentissage de l’anglais langue seconde. Quelle est la part du linguistique dans l’intégration de routines culturelles (langue comme façon de vivre le monde / speech community) ? Et à l’inverse, comment l’intégration du common ground culturel participe-t-il de l’acquisition des langues ? L’explicitation linguistique est-elle un préalable à l’implicitation, source d’une reconnaissance/appartenance culturelle et identitaire ?
Une approche sociolinguistique et pragmatique pourra également porter sur la question du common ground en tant que stéréotype/propagande et viser à la réanalyse des processus historiques et linguistiques de la construction/déconstruction d’implicites cullturels et politiques.
Sous l’angle historique et culturel
Pour l’étude de l’histoire et des cultures des sociétés anglophones, la notion de « common ground » se décline de multiples façons qui résonnent avec les travaux menés notamment par les chercheurs du CREA de l’axe 1 Politiques, arts et cultures. En effet, le « common ground » permet à la fois d’interroger la diversité des sociétés anglophones et les enjeux de leur constitution historique en sociétés multiculturelles. Elle questionne aussi l’existence réelle ou supposée, construite, de valeurs communes, qu’elles soient liées à la religion, au républicanisme, au capitalisme ou au nationalisme par exemple. La prise en compte de la contribution des minorités ethnoraciales et/ou sexuelles à l’histoire du pays constitue l’un des multiples enjeux de la notion du « common ground » : Comment définit-on la nation ? Par qui et pour qui cette définition s’opère-t-elle ? Comment les minorités religieuses, ethno-raciales ou sexuelles se sont-elles mobilisées pour revendiquer leur appartenance au « common ground » national ? Telles sont quelques questions qui continueront d’animer les travaux de recherche de membres du CREA spécialistes de l’histoire et des cultures des pays anglophones. La notion de « common ground » implique une interrogation sur les notions sociologiques clés d’ « hégémonie », de « domination » et d’imaginaire collectif. De plus, cette notion éminemment géographique permet de renouveler de manière féconde les analyses sur le « droit à la ville ».
Dans le domaine des études historiques et culturelles, la notion s’accompagne d’enjeux épistémologiques importants : elle est également féconde pour réfléchir aux interactions et intersections entre les champs et les disciplines mobilisé.e.s pour l’étude des pays anglophones. Les chercheurs du CREA adoptent ainsi souvent une approche pluridisciplinaire dans leurs travaux, mobilisant notamment l’histoire, la sociologie, la science politique, la philosophie et l’économie. Au-delà de la richesse de cette approche croisée, la notion de « common ground » permet aussi de souligner l’importance qu’il y a à croiser des champs restés longtemps séparés dans l’historiographie comme l’histoire environnementale et l’histoire sociale, l’histoire du livre et l’histoire africaine-américaine, les approches sociologiques du genre et l’histoire urbaine. Comme le souligne la recherche des membres du CREA, ces champs sont non seulement compatibles mais complémentaires et indispensables à une production scientifique apportant une contribution à la recherche internationale.
« La construction du "common ground" »
Responsables : Martine Sékali, Caroline Rolland-Diamond
Le terme anglais common ground renvoie à un « terrain » commun constitué de savoir partagé, de références mutuellement acceptées, au niveau linguistique, cognitif, social, culturel. Le common ground est donc une zone d’entente et d’attente, de convergence tacite, socle indispensable d’un dynamisme de coopération. En tant que zone d’entente, il est constitutif d’une identité collective, qui peut être à l’origine d’une communauté spécifique au sein d’une communauté plus large. En tant que zone d’attente, le common ground fournit une grille d’interprétation, comme le signale Deborah Tannen : “...based on one’s experience of the world in a given culture (…), one organizes knowledge about the world and uses this knowledge to predict interpretations and relationships regarding new information, events, and experiences.” (Tannen 1979: 137)
Le projet vise à rechercher les processus de la construction de ce common ground au niveau de la/des communauté(s) anglophone(s).
Sous l’angle linguistique
Constat issu d’une analyse du processus développemental en acquisition de la langue maternelle (Sekali 2012, 2018) sur un corpus longitudinal : la complexification progressive des énoncés chez l’enfant suit un chemin développemental « en accordéon » (concertina effect) : de courts énoncés simples à une période d’énoncés hyper complexes (subordonnées en parce que/sinon/pour/si, coordination etc. vers 2ans et demi-3 ans, puis vers 4/5 ans les énoncés semblent se rétrécir (pourcentage moindre d’énoncés à multiples subordonnées).
Ce phénomène d’accordéon linguistique dans le développement est à lier à un processus cognitif et socio-culturel d’intégration/implicitation de règles et routines familiales (j’enlève mes chaussures parce que je vais monter sur mon lit, je tiens la rampe en descendant l’escalier parce que comme ça je ne vais pas tomber) mais aussi d’intégration de savoir partagé sur le monde (les feuilles elles tombent parce que c’est l’automne) etc.
Il y a un besoin d’explicitation linguistique des phénomènes pour une future implicitation dans un common ground qui n’a plus besoin d’être dit. Le processus analytique incarné dans les énoncés hypercomplexes (linguistic embodiment) construit la possibilité d’une synthèse/implicitation à la fois linguistique et cognitive. Ainsi la phase d’hypercomplexité formelle, linguistique, est une incarnation dans la langue de l’analyse cognitive des phénomènes du monde par l’enfant (perception et traitement de l’information), qui autorise leur appropriation /intégration en tant que savoir partagé, social et culturel. Un certain nombre d’énoncés syntaxiquement plus simples qui apparaissent après 4 ans sont en réalité cognitivement plus complexes parce qu’ils contiennent des zones de sens implicites, (que l’on ne trouve pas avant dans les corpus). Ces zones de sens implicites acquises permettent aussi une meilleure coopération dans les échanges oraux, et peut-être aussi une meilleure compréhension des implicites des autres locuteurs.
Ce phénomène de concertina effect et d’implicitation progressive incarnée dans la langue, analysé sur un grand corpus longitudinal français, doit être testé par l’analyse d’autres corpus longitudinaux anglophones, déjà collectés, mais qui doivent être transcrits sous CLAN et analysés. D’autres marques d’implicitation du common ground qui participent à ce chemin développemental seront recherchées avec une approche multi-dimensionnelle de la langue orale : gestualité, prosodie, positionnements intersubjectifs et pragmatiques, avec ce questionnement filé : comment s’exprime l’implicite, le savoir partagé, quand apparaît-il dans les corpus, comment le reconnait-on, comment peut-on décrire, et formaliser son processus d’acquisition ?
Cette analyse de la construction du common ground dans la langue a bien entendu des implications dans l’apprentissage de l’anglais langue seconde. Quelle est la part du linguistique dans l’intégration de routines culturelles (langue comme façon de vivre le monde / speech community) ? Et à l’inverse, comment l’intégration du common ground culturel participe-t-il de l’acquisition des langues ? L’explicitation linguistique est-elle un préalable à l’implicitation, source d’une reconnaissance/appartenance culturelle et identitaire ?
Une approche sociolinguistique et pragmatique pourra également porter sur la question du common ground en tant que stéréotype/propagande et viser à la réanalyse des processus historiques et linguistiques de la construction/déconstruction d’implicites cullturels et politiques.
Sous l’angle historique et culturel
Pour l’étude de l’histoire et des cultures des sociétés anglophones, la notion de « common ground » se décline de multiples façons qui résonnent avec les travaux menés notamment par les chercheurs du CREA de l’axe 1 Politiques, arts et cultures. En effet, le « common ground » permet à la fois d’interroger la diversité des sociétés anglophones et les enjeux de leur constitution historique en sociétés multiculturelles. Elle questionne aussi l’existence réelle ou supposée, construite, de valeurs communes, qu’elles soient liées à la religion, au républicanisme, au capitalisme ou au nationalisme par exemple. La prise en compte de la contribution des minorités ethnoraciales et/ou sexuelles à l’histoire du pays constitue l’un des multiples enjeux de la notion du « common ground » : Comment définit-on la nation ? Par qui et pour qui cette définition s’opère-t-elle ? Comment les minorités religieuses, ethno-raciales ou sexuelles se sont-elles mobilisées pour revendiquer leur appartenance au « common ground » national ? Telles sont quelques questions qui continueront d’animer les travaux de recherche de membres du CREA spécialistes de l’histoire et des cultures des pays anglophones. La notion de « common ground » implique une interrogation sur les notions sociologiques clés d’ « hégémonie », de « domination » et d’imaginaire collectif. De plus, cette notion éminemment géographique permet de renouveler de manière féconde les analyses sur le « droit à la ville ».
Dans le domaine des études historiques et culturelles, la notion s’accompagne d’enjeux épistémologiques importants : elle est également féconde pour réfléchir aux interactions et intersections entre les champs et les disciplines mobilisé.e.s pour l’étude des pays anglophones. Les chercheurs du CREA adoptent ainsi souvent une approche pluridisciplinaire dans leurs travaux, mobilisant notamment l’histoire, la sociologie, la science politique, la philosophie et l’économie. Au-delà de la richesse de cette approche croisée, la notion de « common ground » permet aussi de souligner l’importance qu’il y a à croiser des champs restés longtemps séparés dans l’historiographie comme l’histoire environnementale et l’histoire sociale, l’histoire du livre et l’histoire africaine-américaine, les approches sociologiques du genre et l’histoire urbaine. Comme le souligne la recherche des membres du CREA, ces champs sont non seulement compatibles mais complémentaires et indispensables à une production scientifique apportant une contribution à la recherche internationale.
Mis à jour le 21 mars 2024