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Contre-cartographies, (Contre-)cartographies amérindiennes

Agnès Trouillet & Baptiste Lavat (dir.)

Publié le 23 novembre 2025 Mis à jour le 23 novembre 2025

IdeAs. Idées d'Amériques, 26, 2025

Dans L’imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme (traduction de son célèbre essai Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism), Benedict Anderson évoque la carte comme l’une des trois institutions de pouvoir, avec le recensement et le musée, qui ont profondément marqué la façon dont l’État colonial imaginait sa domination : « la nature des êtres humains qu’il gouvernait, la géographie de son domaine et la légitimité de son ascendance » (Anderson B., 2006 :167). Instruments à part entière de la stratégie de colonisation à partir du XVIIe siècle, les cartes mettent en place des frontières linéaires entre des territoires où prévalent des autorités centralisées, remplaçant les myriades d’entités exerçant jusqu’alors diverses formes de souveraineté (Elden S., 2013). Elles ne se contentent alors plus de représenter le monde selon des références géométriques, mais commencent également à définir sa représentation visuelle tandis que les formes d’autorité qui cessent d’être représentées disparaissent progressivement de l’imaginaire colonial (Branch J., 2014). La présence des peuples autochtones est ainsi progressivement effacée, au sens littéral, des cartes européennes des XVIIe et XVIIIe siècles. De plus, les nouvelles techniques de cartographie s’appuient sur la géométrie euclidienne et l’exactitude géographique, en totale contradiction avec les conceptions autochtones de l’espace et du territoire. Cependant, les territorialités autochtones et afro-descendantes ne se laissent pas réduire aux découpages hérités de la modernité coloniale, comme le soulignent des auteurs tels que Carlos Walter Porto-Gonçalves (2006), Arturo Escobar (2008) ou Rogerio Haesbaert (2004), selon lesquels la cartographie constitue également un lieu de confrontation entre savoirs ou représentations du monde non hégémoniques et rationalités ethnocentrées dominantes ou dominatrices. Denis Wood (1992) utilise le concept du « pouvoir des cartes » pour mettre en exergue les biais résultant des nécessaires processus de sélection qu’implique leur réalisation. Loin d’être des objets impartiaux, les cartes sont plutôt des instruments de communication, de persuasion et de pouvoir, et perdurent comme norme du système westphalien de souveraineté territoriale en continuant à incarner les intérêts de leurs commanditaires. Il s’agit donc de dépasser l’idéal de cartes en tant qu’images objectives et neutres du monde, puisqu’elles contiennent des erreurs, omissions, points de vue et valeurs.

Plus d'informations sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/ideas/21191

Mis à jour le 23 novembre 2025